28 March 2024

« J’aimais Isabelle – Gaston – comme un fou, je lui ai tout donné et je ne comprend pas pourquoi elle est partie »
Guy Turcotte

Le procès du Guy Turcotte est un raté complet de notre système de justice pour plusieurs raisons mais prioritairement parce que les membres du jury ont été privés d’un éclairage essentiel pour rendre un verdict adéquat.
Les acteurs judiciaires sont passés à côté de la tour Eiffel en ne recadrant pas le drame dans son contexte : le meurtre des enfants s’inscrit dans une dynamique de violence conjugale. Il aurait suffit, entre les experts psychiatres, biologistes et toxicologues spécialistes en lave-glace, de faire entendre un expert en violence conjugale pour éclairer le jury sur les nombreux indicateurs qui déterminent la présence d’une dynamique d’emprise en contexte conjugal.
En voici seulement quelque uns :
Antécédent de violence en lien avec annonce de rupture en 2001 : lorsqu’elle lui avait annoncé son départ – Guy Turcotte l’avait poussé violemment au mur et lui avait donné une claque.
Jalousie, contrôle relevés dans le témoignage de la victime, menace verbale que sa vie serait un enfer
Violence sur le nouveau conjoint : le 10 février 2009 -il frappe Martin Huot au visage lorsqu’il le voit dans la maison familiale de Prévost.
État dépressif en lien avec rupture/entourage inquiet d’un passage à l’acte suicidaire : monde qui s’écroule, vision en entonnoir
Escalade de violence/crainte de la victime : La veille du drame, une dispute a eu lieu et Isabelle Gaston est devenu craintive, elle a demandé à son nouveau copain – Martin Huot – de venir coucher à la maison et elle a aussi décidé de faire changer les serrures.
Traits obsessionnels/construction psychologique qui prédispose au passage à l’acte : La journée du drame de 19h43 à 20h09 il relit les messages que se sont échangés Isabelle Gaston et Martin Huot

La violence conjugale étant trop souvent banalisée par les tribunaux, rien ne permet de croire que le verdict du jury aurait été différent mais l’apport de l’expert aurait certainement servi à relier les pointillés que bien souvent, les victimes elle-mêmes n’identifient pas.
En replaçant l’accusation dans son contexte, Guy Turcotte devient à mon sens responsable criminellement du meurtre de ses enfants. Son geste ne s’inscrit pas dans un moment de folie passagère, ne relève pas strictement d’un trouble d’adaptation accentué par une intoxication.

Il est une réaction à la rupture conjugale. Il n’a pas tué son ex-conjointe. Il a fait « pire » : lui faire payer la fin du lien conjugal en enlevant la vie de ses enfants.
J’invite donc tout ces experts qui cherchent, comme nous l’ont rapporté les médias « le chaînon manquant » pour comprendre le geste de Turcotte à ouvrir leur perspective.

La médiatisation du procès et des audiences du tribunal administratif nous permet également de mettre en lumière d’important problèmes qu’il est impératif de corriger pour que les citoyenEs reprennent confiance dans l’administration de la justice.
Le témoignage des experts doit être encadré- le collège des médecins et le barreau du Québec devraient sur ce sujet prendre position, une analyse doit être faite par un comité pour évaluer si les tribunaux ont tendance à prioriser la défense pour non responsabilité criminelle au détriment de la responsabilisation, le contexte entourant les accusations doit être davantage considéré particulièrement lorsqu’un rapport d’intimité unit l’agresseur et la victime.
Et la victime, trop souvent exclue d’un processus qui la concerne directement, doit davantage être entendue tant dans le processus judiciaire que dans les audiences du tribunal administratif.
Pour que plus jamais nous entendions d’un Me Jean-Claude Hébert, porte parole de Commission d’examen des troubles mentaux : « Si c’est pour répéter ce qu’elle a déjà dit, on va probablement lui dire très poliment que ça ne sera pas utile à l’analyse des commissaires».

Je suis extrêmement impressionnée par le courage, l’éloquence et la détermination d’Isabelle Gaston.
Elle ne demande pas qu’un nouveau procès, peu probable soit-il, soit tenu dans le fonctionnement actuel de notre système de justice, elle demande qu’un changement soit fait dans l’administration de la justice.
Souhaitons qu’elle soit entendue.
C’est le moins que nous puissions faire devant l’injustice d’un crime impuni.

Claudine Simon, criminologue.
Côté Cour, service qui évalue pour la cour les situations de violence conjugale et familiale

Texte publié dans le journal Le Devoir

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